Un peu d'étymologie


Bertrand Hauchecorne

Des démonstrations par récurrence ont été faites bien avant que soit formalisé et a fortiori nommé ce type de raisonnement.

C’est seulement dans la seconde moitié du XIXe siècle que ceci fut réalisé, sous l’impulsion de Hermann Grassmann dès 1861 puis de façon plus formelle par Richard Dedekind en 1888 et Giuseppe Peano, qui a fait du principe de récurrence un axiome de sa définition des nombres entiers l’année suivante. Le mot lui-même apparaît dans le vocabulaire mathématique au tournant du XXe siècle.

 

Recurrens est le participe présent du verbe latin recurrerre, signifiant « revenir en arrière » ; il désignait par exemple le fait de se retrouver à la même place, comme un astre après une révolution. On reconnaît dans ce terme le préfixe re qui marquait déjà à l’époque la répétition, placé devant un verbe signifiant « courir ».

 

On le retrouve dans la célèbre phrase du poète latin Horace « Naturam expellas furca tamen usque recurret » (« Tu peux chasser le naturel à coup de fourche, il reviendra toujours au galop »).

« Récursif », d’utilisation récente en mathématiques, est formé quant à lui sur recursum, le supin (une sorte de participe passé) du même verbe latin. Il désigne, en logique ou en informatique, un procédé qui fait appel à lui-même ; le sens latin de « revenir en arrière » est ici clairement présent.

 

Suite Segond (60F). Bernard Frize, 1981.

 

Itération et processus

 On parle d’itération dans de nombreuses situations où une expérience se répète. Le mot latin iteratio avait déjà le même sens. Introduit dans notre langue sous sa forme francisée à la Renaissance, il est rapidement remplacé par « répétition ». Il revient par emprunt à l’anglais dans son sens mathématique peu après la Première Guerre mondiale.

Quand on répète une expérience aléatoire indéfiniment, on parle de processus aléatoire ou stochastique. De la même racine étymologique que les mots « procès » ou « procession », le mot « processus » est en fait un terme latin signifiant « progrès » ou « progression ». Il apparaît en français au XVIe siècle, concurrençant son homologue français « procès », qu’il cantonne dans le domaine de la justice. Son emploi s’étend en psychologie, au tout début du XXe siècle, puis à différentes disciplines scientifiques. L’étude de la convergence de suites de variables aléatoires, sous l’impulsion entre autres d’Andreï Markov puis Paul Levy, se développe au début du XXe siècle ; c’est alors que l’expression « processus aléatoire » (ou « stochastique ») entre dans le champ du vocabulaire mathématique.

 

Références

Le Robert, dictionnaire historique et étymologique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey.

Les mots et les maths. Bertrand Hauchecorne, Ellipses, 2003 (2014 pour l’édition « poche » ).

 

Récurrence ou induction ?

En latin, inductio désigne « l’action d’amener », et par extension signifie « résolution ». Cicéron l’utilise pour traduire le grec epagôgê qu’Aristote employait dans le cadre de la logique pour désigner « l’action d’amener par un raisonnement ». On l’emploie de nos jours en français scientifique pour un raisonnement partant d’expériences parcellaires qui permet de supposer une loi générale ; ceci se fait en particulier en physique. Ce type de démarche a pour antonyme la déduction, qui semble plus familière en mathématiques ; l’induction s’utilise néanmoins dans cette discipline pour postuler un résultat, il ne sera établi par la suite que par un raisonnement déductif.

La plupart des langues occidentales utilisent le mot « Induction » pour désigner ce que nous nommons le raisonnement par récurrence. Les Allemands parlent même d’induction complète (vollständige Induktion). L’idée est bien sûr d’aboutir à un résultat sur tous les entiers en partant d’une propriété démontrée pour 0 (ou tout entier de départ) grâce à un passage général de n à n+1.

Laissons au lecteur le choix de savoir si une récurrence est une déduction ou une induction. Ce type de démonstration nous semble intuitivement naturel mais Peano en a eu besoin pour définir axiomatiquement les entiers.