Le vol 13 094 ne répond plus


Éric Angelini



L'étude des suites d'entiers réserve encore bien des surprises. Certaines de leurs propriétés attendent d'être mises au jour, par des professionnels ou des amateurs férus de programmation.

Où va-t-il ? Nul ne sait. Entrera-t-il dans une boucle ? Peut-être. S’échappera-t-il à l’infini ? Tout est possible… Voici une variante du fameux protocole de Collatz (ou de Syracuse), lequel transforme un nombre en un autre, puis cet autre en un troisième, ce troisième en un quatrième, et ainsi de suite. La règle est très simple : on part d’un entier P, 2 019 par exemple. On écrit ensuite, de gauche à droite, les différences absolues entre les chiffres de P. Ainsi, pour P = 2 019, on obtient 2 187. Le chiffre 7 est, en valeur absolue, le dernier chiffre de P moins le premier : | 2 – 0 | = 2, | 0 – 1 | = 1, | 1 – 9 | = 8 et | 9 – 2 | = 7.

On génère ainsi Q = 2 187. Maintenant, si Q > P, on construit Q + P, et si Q < P, on s’intéresse à P – Q. Le résultat devient un nouvel entier, sur lequel on va répéter la procédure. Comme P = 2 019 et Q = 2 187 > P, on va considérer la somme P + Q = 4 206.

Le nombre construit à partir des valeurs absolues des différences est alors 2 262, que l’on va soustraire de 4 206 car 2 262 < 4 206 ; on obtient 1 944.

Le nouvel entier construit à partir des valeurs absolues des différences est 8 503, que l’on s’empresse d’ajouter à 1 944 (car 8 503 > 2 019) pour aboutir à 10 047.

L’algorithme nous fournit maintenant 10 436, que l’on ajoute à 10 047 pour obtenir 20483, et ainsi de suite.

 

Le protocole semble précipiter tous les nombres dans des boucles de tailles diverses. Le vol d’un entier est alors le nombre d’étapes avant d’entrer dans une boucle, et l’altitude le plus grand entier atteint. Un chiffre unique uredonnera u quand on lui aura ôté 0. Les nombres comme 11, 22, 33… ne décollent pas et « tombent » à 0.

L’entier 1 248 tombe dans la boucle {1} car 1 248 – 1 247 = 1. Le nombre 10, lui, entre dans la boucle {10, 21}. En effet, à 10 on associe 11, que l’on ajoute à 10 pour obtenir 21, à partir duquel on obtient à nouveau 11, que l’on soustrait de 21 pour retomber sur 10.

 

Des altitudes démesurées

Le nombre 199 est intéressant car il entre dans la boucle {33, 60} après douze mille neuf cent trente-huit itérations, son vol ayant culminé à l’altitude 4 355 844 064 496 136 145 565 824 445 826 790 824 724 344 584 482 457 236 782 364 726 952 (un nombre de soixante-sept chiffres !).

L’amateur canadien de mathématiques récréatives Hans Havermann, qui administre le blog Glad Hobo Express, a beaucoup travaillé sur ce protocole. Il a recensé en 2012 toutes les boucles dans lesquelles entrent les nombres de 1 à 100 000 000. La boucle la plus grande est de taille 25 ; c’est celle dont le plus petit terme T vaut 20 971.

 Deux semaines après avoir trouvé ce résultat, Hans, laissant tourner son programme, découvrit une boucle de taille 868. Son plus petit terme T’ en est 204 099 163, qui produit 449 007 694.

 Mais c’est le mathématicien et informaticien britannique Phil Carmody (« Fatphil » pour les intimes) qui a poussé le bouchon le plus loin, à partir de l’entier P = 13 094 : plus de cent cinquante millions d’itérations… dont l’issue est toujours inconnue ! Le vol 13 094 semble ne devoir toujours pas redescendre significativement ou entrer dans une quelconque boucle. Phil Carmody a stoppé son programme quand l’altitude atteinte par 13 094 fut celle d’un nombre à deux cent dix mille chiffres (soit, en terme de nombre de chiffres, plus de trois mille fois le plafond atteint par 199).

Phil s’est intéressé à la répartition des chiffres, des paires et des triplets de chiffres générés par ces cent cinquante millions d’itérations. Il a noté que cette distribution était loin d’être uniforme. Le triplet « 456 », par exemple, revient beaucoup plus que les autres (9,23 occurrences sur 1 000 possibles), le suivant, « 030 », n’étant qu’à 7,45.

Pour les paires de chiffres, c’est « 56 » qui revient le plus (avec 3,17 %) et « 51 » le moins (avec 0,08 %).

Pour les chiffres, c’est « 0 » qui l’emporte (avec 16,5 %) et « 1 » qui fait le moins bien (avec 3,4 %). Ces écarts ne sont manifestement pas dus au hasard – mais alors à quel phénomène mathématique ?

 

De même, on ne connaît toujours pas aujourd’hui le sort de 13 837, de 16 076, de 18 686, de 20 864 ou de 27 650. À vos ordinateurs ! 

 

SOURCES

• La suite A235335 de l'Online Encyclopedia of Integer Sequences de Neil Sloane : https://oeis.org/A235335
Suites et séries. Bibliothèque Tangente 41, 2011.