Le mysticisme comme inspiration

Philippe Boulanger



Au nom de l'infini : mysticisme religieux et créativité mathématique

Loren R. Graham, Jean-Michel Kantor
Belin
2010
286 pages
23.9 €

 D’où vient l’inspiration mathématique ? La réponse des auteurs pourra choquer : dans le cas de l’école mathématique de Moscou, l’inspiration est venue du mysticisme religieux. Cette caractéristique n’est certes pas généralisable, toutefois elle rejoint certains témoignages : de nombreux mathématiciens, de Poincaré à Alain Connes, ont relaté que la solution d’un problème leur est apparue alors qu’ils faisaient tout autre chose, comme si une activité mécanique annexe éliminait des contraintes cérébrales paralysantes.
 Les mathématiques, a écrit Hermann Weyl, sont la science de l’infini. Encore faut-il pouvoir l’étudier ! Cantor avait défini une double hiérarchie d’infinis, ordinaux et cardinaux, et démontré que l’infini du continu n’est pas dénombrable. Et l’hypothèse du continu, l’existence ou non d’un ensemble coincé entre ces deux infinis, continue à poser problème. Les Français, découragés, avaient abandonné la recherche dans le domaine, comme le trio Baire–Borel–Lebesgue. Borel refusait de militer sous la bannière du nominalisme : à son grand dam, il prouvait l’existence de créatures mathématiques dont il ne pouvait même pas donner un seul exemple.
 Le trio russe Egorov–Florensky–Luzin était mystique : ses membres appartenaient à une secte orthodoxe hérétique, l’Adoration du Nom, qui pensait que l’on approchait Dieu en psalmodiant une prière à Jésus. Cette importance donnée au nom les incitait à croire en l’existence des choses nommées. Sous le régime communiste, une telle foi amena leur persécution.
 Alors la rationalité est-elle un atout, ou un handicap ? Notons qu’une seconde génération de mathématiciens (Alexandrov, Kolmogorov…), dépourvus de la foi de leur maîtres, n’en poursuivirent pas moins une exploration fructueuse des mathématiques.



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