Les paradoxes de l'infini


Fabien Aoustin et Hervé Lehning

L'infini doit se manier avec précaution, pour ne pas se perdre (dans les paradoxes)...

 

L'hôtel de Hilbert

Dans une conférence sur l'infini qu'il donnait en 1925, pour expliquer que l'infini ne pouvait être rencontré dans la réalité, David Hilbert inventa l'hôtel imaginaire qui porte aujourd'hui son nom. Il s'agit d'un hôtel ayant une infinité de chambres numérotées avec les nombres entiers naturels 1, 2, 3… Cet objet aurait sans doute été oublié de nos jours s'il n'avait pas été popularisé par George Gamow dans son livre Un, deux, trois… l'infini paru en 1947.

 

L'hôtel de Hilbert est complet, quand arrive un client. Le réceptionniste lui donne la chambre numéro 1 et téléphone simultanément à tous les clients pour leur demander de se déplacer dans la chambre suivant celle qu'il occupe (l'occupant de la chambre n déménage dans la chambre n + 1, libérant ainsi la chambre 1 et ne laissant aucun client sans chambre). Quand l'hôtel de Hilbert est complet, on peut encore y accueillir un client, et donc un nombre fini de clients !

 

L'hôtel de Hilbert est toujours complet, quand arrive une infinité dénombrable de clients. Le réceptionniste leur donne les chambres impaires et téléphone à tous les clients en leur demandant de se déplacer dans la pièce dont le numéro est le double de celle qu'ils occupent (l'occupant de la chambre n déménage dans la chambre 2n + 1, libérant ainsi toutes les chambres paires et ne laissant personne sans chambre). Quand l'hôtel de Hilbert est complet, on peut encore y accueillir une infinité de clients !

 

Le principe des tiroirs

Si quatre chaussettes sont réparties dans trois tiroirs, l'un des tiroirs en contient au moins deux. En 1834, J. P. G. Lejeune-Dirichlet a nommé ce principe, qu'il a utilisé pour étudier les approximations rationnelles d'un nombre réel, le principe des tiroirs. On lui en attribue généralement la paternité. Cependant, Jean Leurechon l'a utilisé deux siècles avant lui dans son livre Récréation mathématique composée de plusieurs problèmes plaisants et facétieux. L'énigme de Leurechon concerne les cheveux et les pièces de monnaie. Il l'énonce ainsi : « [Montrez] qu'il est totalement nécessaire que deux hommes aient autant de cheveux ou de pistoles l'un que l'autre. »

 

Cet énoncé est mieux compris sous la forme suivante : « Chaque personne possède jusqu'à 150 000 cheveux. Sachant qu'Angers est peuplée de 150 125 habitants, montrez qu'au moins deux Angevins ont le même nombre de cheveux. »

 

Le raisonnement pour le prouver a un côté surréaliste : rangeons les personnes n'ayant aucun cheveu dans un premier tiroir, celles en ayant un seul dans un second et ainsi de suite jusqu'au dernier, contenant les personnes ayant cent cinquante mille cheveux. Si aucun tiroir ne contient plus d'une personne, la population d'Angers est au plus égale à 150 001, ce qui est absurde, donc un des tiroirs contient deux personnes.

 

Cette démonstration a un côté troublant : elle ne permet pas de trouver ces deux personnes. Au début du XXe siècle, des mathématiciens comme Luitzen Brouwer ont décidé qu'on ne pouvait admettre ce type de preuve d'existence et demandaient qu'elle soit accompagnée d'un algorithme de construction d'une solution. C'est pourquoi on les nomme constructivistes. Cette école de pensée n'a pas convaincu la majorité des mathématiciens : appliquer ses préceptes rend les raisonnements d'une lourdeur indicible.

 

Le paradoxe de Condorcet

 

 Il n'est pas toujours évident de trouver une relation d'ordre sur un ensemble. Dans son Essai sur l'application de l'analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix (1785), Nicolas de Condorcet a ainsi montré que si l'on demandait de voter pour un classement entre trois candidats A, B et C à une élection, il était possible d'aboutir à une situation contradictoire. Demandons à soixante électeurs de se prononcer ; ils se répartissent ainsi après sondage :

 

A > B > C

23

B > C > A

17

B > A > C

2

C > A > B

10

C > B > A

8

 

Ainsi, les électeurs préfèrent A à B par 33 voix contre 27. Ils préfèrent B à C par 42 voix contre 18, et C à A par 35 voix contre 25. En résumé, ils trouvent en majorité A meilleur que B, lui-même meilleur que C, qui est lui-même meilleur… que le candidat A !